Les Yakusa les plus célèbres

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Les yakuza occupent une place unique dans l'imaginaire collectif japonais. À la fois figures criminelles, entrepreneurs de l'ombre, nationalistes ou parvenus sociaux, ils ont marqué chaque époque de leur empreinte. Voici une plongée dans leur univers, à travers les figures les plus emblématiques, de leurs origines jusqu'à leur lente disparition.

Aux origines : figures mythifiées du Japon féodal

Bien avant de devenir un réseau de gangs modernes, les yakuza puisaient leurs racines dans les marges sociales du Japon d'Edo. L'une des premières figures légendaires est celle de Shimizu Jirocho, un ancien forain devenu chef de gang à Shizuoka au XIXᵉ siècle. Si son nom est encore respecté aujourd'hui, c'est parce qu'il mêlait violence et honneur, n'hésitant pas à organiser les funérailles de ses ennemis pour respecter les morts. Il fut même décoré à titre posthume pour ses actes patriotiques, preuve de l'ambiguïté morale qu'incarne le monde yakuza dès ses origines.

 

Yoshio Kodama, le parrain de l'ombre d'avant et d'après-guerre

Dans la première moitié du XXᵉ siècle, les yakuza se lient aux forces nationalistes et militaristes. Yoshio Kodama incarne cette symbiose trouble. Durant la guerre, il agit comme espion au Mandchoukouo, trafiquant matières premières et information au profit de l'empire japonais. Une fois emprisonné comme criminel de guerre, il est rapidement libéré grâce à ses relations avec les Américains, qui voient en lui un rempart contre le communisme. Kodama devient alors une figure charnière entre politique, crime organisé et renseignement.
Dans les années 1970, il se retrouve impliqué dans le scandale Lockheed, un vaste système de corruption impliquant l'avionneur américain et le gouvernement japonais. Il aurait personnellement encaissé plusieurs millions de dollars pour faciliter des contrats d'achat d'avions, affirmant avec cynisme qu'il avait "vendu le Japon en morceaux, au prix fort."

 

Kazuo Taoka, l'empereur silencieux du crime

L'après-guerre voit les yakuza se structurer comme de véritables entreprises. À la tête de la puissante Yamaguchi-gumi, Kazuo Taoka, surnommé "le Tigre de Kobe", impose son autorité. Sous sa direction, l'organisation passe de 1 000 à plus de 10 000 membres. Taoka instaure un code de discipline strict, interdit l'usage de drogues mais organise jeux clandestins, racket et prostitution sur l'ensemble du territoire. Redouté par ses pairs, il transforme son clan en syndicat national à l'image d'une multinationale.
Lors d'un règlement de compte, il est lacéré au visage par une lame de rasoir. Refusant les soins, il garde la cicatrice comme symbole de sa virilité. Son charisme et sa brutalité en font une légende, et à sa mort en 1981, une guerre de succession s'engage.

 

Hisayuki Machii, l'autre parrain venu de Corée

Contemporain de Taoka, Hisayuki Machii, surnommé "le roi de Ginza", incarne un autre visage du crime organisé. D'origine coréenne, il fonde le Toa-kai, un clan très actif dans l'immobilier et le trafic d'influence. Machii cultive des relations étroites avec la CIA et le gouvernement japonais, servant d'intermédiaire officieux entre les sphères politiques et criminelles.
Machii gère ses affaires depuis des cafés de luxe, en pleine lumière, fréquenté par des hommes politiques en poste. À la fois mafieux, homme d'affaires et acteur diplomatique, il démontre à quel point les frontières entre crime et pouvoir peuvent être poreuses dans le Japon d'après-guerre.

 

Les années 1980 : guerre ouverte dans les rues

Après la mort de Taoka, un conflit sanglant éclate entre factions. Hiroshi Yamamoto, qui se considère comme l'héritier légitime du clan, fonde l'Ichiwa-kai et entre en guerre contre la Yamaguchi-gumi. En 1985, l'assassinat du nouveau chef du clan déclenche une vague de violences. Fusillades en pleine rue, attaques à la grenade, meurtres ciblés : la guerre Yama-Ichi fera plus de 25 morts et met le pays en émoi.
Cette guerre de succession provoque la première réponse d'envergure de l'État. Dès les années 1990, des lois anti-yakuza sont adoptées, rendant plus difficile l'activité publique de ces groupes.

 

Kiyoshi Takayama, l'intellectuel du crime

Figure montante des années 1990, Kiyoshi Takayama devient le bras droit de Shinobu Tsukasa et réorganise la Yamaguchi-gumi sur des bases plus modernes. Stratège impitoyable, il impose une discipline de fer et crée des structures hiérarchiques dignes de l'armée. Il tient ses réunions dans des hôtels de luxe et des cafés haut de gamme, afin de projeter une image de respectabilité. À la fois craint et admiré, Takayama incarne la transition du yakuza violent en manager criminel discret.

 

Shinobu Tsukasa, le parrain invisible

Depuis 2005, Shinobu Tsukasa, également connu sous le nom de Kenichi Shinoda, est le chef de la Yamaguchi-gumi. Issu d'une branche provinciale du clan, il est le premier dirigeant à ne pas venir de Kobe. Il refuse les tatouages traditionnels et évite la presse, préférant la discrétion et l'efficacité. En sortant de prison après treize ans pour homicide, il organise une cérémonie d'accueil discrète, surveillée de près par la police. Il représente un type nouveau de chef yakuza : technocrate du crime, moins attaché à l'image mythique que ses prédécesseurs.

 

Le XXIᵉ siècle : déclin, scissions et tentations internationales

Depuis les années 2010, les yakuza sont en net déclin. Le nombre de membres est tombé sous la barre des 20 000, contre plus de 180 000 dans les années 1960. Les lois se sont durcies, les comptes bancaires leur sont interdits, et les scissions internes fragilisent les organisations.
En 2015, une faction se sépare pour créer le Kobe Yamaguchi-gumi, entraînant une nouvelle vague de tensions et d'attaques ciblées. À la tête de cette dissidence, Kunio Inoue tente de revenir à un modèle plus traditionnel. Il échappe à plusieurs tentatives d'assassinat, y compris une attaque à l'arbalète dans un parking, illustrant la persistance de la violence malgré l'isolement.

 

Takeshi Ebisawa, le yakuza du XXIᵉ siècle

Enfin, l'un des cas les plus troublants de ces dernières années est celui de Takeshi Ebisawa, arrêté aux États-Unis en 2022. Membre d'une faction issue de la Yamaguchi-gumi, il est accusé non seulement de trafic d'armes et de drogue, mais aussi d'avoir tenté de vendre de l'uranium à un groupe terroriste.
Les enquêteurs américains affirment qu'il essayait de créer un marché noir nucléaire à des fins inconnues. Ce mélange de crime transnational et de menaces géopolitiques fait de lui une figure inédite dans l'histoire du yakuza, à la croisée du crime organisé et du thriller d'espionnage.

 

Héritage et fiction

Aujourd'hui, les yakuza n'ont plus l'influence d'antan. Les jeunes Japonais les fuient, et les clans vieillissent. Mais leur héritage culturel reste immense. Des films de Kinji Fukasaku (Battles Without Honor and Humanity) aux jeux vidéo Yakuza: Like a Dragon, en passant par des mangas comme Sanctuary ou Gokusen, la figure du yakuza hante toujours l'imaginaire japonais.